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amitiés syndicales

18 février 2012

Pour une politisation du travail

Dans la revue Droit social de décembre 2011, Alain Supiot déplore l'absence d'une politique du travail:

" l'adhésion de la gauche à l'idéologie de la rationnalisation industrielle et à l'oganisation "scientifique" du travail (...) a fait disparaître le travail de l'horizon politique de la Gauche et a cimenté ce que Trentin appelle le "compromis fordiste", consistant à compenser financièrement les conséquences d'une aliénation au travail jugé inévitable dans son principe. (...)

On a donc considéré que la question de la justice sociale ne concernait pas le contenu et le sens du travail, mais seulement les contreparties, en temps et en argent, de son aliénation au travail. (...)

Le périmètre de la justice sociale a été restreint aux termes de cet échange salarial, c'est-à-dire à des quantités de temps et d'argent, tandis que la dimension qualitative du travail, son sens et son organisation, étaient censés relever d'une pure rationlité techno-scientifique. L'essor d'une politique de l'emploi s'est ainsi payé  d'une dépolitisation du travail."

Comment redonner force à la démocratie sociale ? Alain Supiot donne les trois dimensions d'une politique du travail:

- le sens du travail: en prenant pour point de départ la créativité des hommes et non l'infaillabilité supposée du Marché

- les communautés de travail: en créant les conditions d'une coopération entre les travailleurs qui oeuvrent pour l'entreprise

- le travail des nations: en asseyant un projet collectif sur l'expérience des peuples et pas seulement sur le savoir des experts.

"Jamais n'a parue aussi proche la réalisation du dépérissement du gouvernement des hommes au profit de l'administration des choses."

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11 février 2012

Les paroles de Pierre Legendre

Une assistante sociale et une infirmière m'ont demandé: "à quoi ça sert de se syndiquer?".

En cherchant des arguments, j'ai pensé hier à Merleau-Ponty (voir message précédent). Je pense aujourd'hui à un autre auteur : Pierre Legendre.

Voici des extraits d'un entretien sur France Culture, sur le thème: on a le choix de « devenir un idiot ou de se construire »

« La pomme tombe sous le pommier… je suis comme la pomme: j'ai eu à faire aux parents qui m'ont enfanté. Et j'ai quelques souvenirs. Quand je suis venu au monde, c'était la détresse économique; j'ai appris au berceau ce qu'on apprend par les livres : la férocité sociale, les classes sociales, ou les castes… et la fracture du regard chez un enfant.

L'anecdote est la suivante: nous allions à l'église dans le banc des pauvres, au fond de l'église, et au moment de la quête, le prêtre passait devant sans s'arrêter. Et je me souviens avoir capté le regard un jour de celui qui faisait la quête. Les pauvres étaient dispensé de quête. Ce regard est resté ancré dans ma mémoire; c'est ça la fracture du regard. L'enfant entre dans l'interrogation, sans mots bien sûr, sur la contradiction, le hiatus, la séparation, l'exclusion…des choses essentielles que j'ai appris moi de cette façon.

Il y a deux manières d'entrer dans la vie : ou bien on devient "revendiquant", un protestataire, un pisseur de vinaigre, ou bien on en fait quelque chose. Alors moi, enfant de cette Normandie taciturne, j'ai travaillé tout ça, mais je n'ai rien à voir avec les marchands de… ça c'est très bien porté en France, ça fait même de très belles carrières : le ressentiment, la haine sociale, etc…tout ça n'est pas mon aliment, je m'alimente d'autre choses. C'est une très grande expérience d'entrer dans la vie de cette façon. Personne n'a choisi ses parents, on est enfant d'un destin qui ne vous quitte pas, le tout est de voir comment on s'accommode de hasards du destin, et comment on peut travailler à retourner subjectivement la carte. »

 Une anecdote d'écolier :

 « Le prof a dit "il faut enlever les pages de la guerre de 14". Mon père, qui avait traversé la première guerre mondiale et avait échappé au pire, ayant traversé l'enfer de Verdun, m'a dit : « il est pas question, tu diras à ton prof que ton père ne veut pas ». J'étais le seul écolier qui avait conservé les pages. Ca donne une idée de l'état d'esprit.Lles Allemands n'en demandaient pas tant! Ce conformisme, cet état d'esprit grégaire… que j'ai rencontré dans le monde académique, l'esprit grégaire, le conformisme. J'ai appris ce qu'on appelle d'un bien grand mot: la dignité. »

Une autre anecdote d'enfance :

« Ma mère n'acceptait pas de recevoir des cadeaux pour nécessiteux, et elle renvoyait les habits usés que les gens, très bien intentionnés du reste, se faisait un devoir de donner à ceux qui leur paraissait être digne de la charité publique. Ce sont des grandes leçons, qui m'ont tenu à l'écart de tous ces mouvements de …de…je ne sais comment les qualifier, de "protestataires", de grandes gueules! Je déteste les grandes gueules! qui font de grands discours, avec les hauts parleurs dans la rue, qui jouent les Lénine de Prisunic à la gare de l'est, et autres intellectuels …ça fait de très belles carrières ce genre d'attitudes, mais ça n'est pas mon fait. »

 

 

10 février 2012

Les mots de Maurice Merleau-Ponty

Cette semaine, deux salariées m'ont demandé: "ça sert à quoi de se syndiquer?"

En cherchant des arguments, je me souviens d'un texte de Merleau-Ponty (Sur Machiavel, éditions folio essais) :

"Il n'y a pas de pouvoir absolument fondé, il n'y a qu'une cristallisation de l'opinion. Elle tolère, elle tient pour acquis le pouvoir.(...) Le pouvoir est de l'ordre du tacite. Les hommes se laissent vivre dans l'horizon de l'Etat et de la Loi tant que l'injustice ne leur rend pas conscience de ce qu'ils ont d'injustifiable. Le pouvoir qu'on appelle légitime est celui qui réussit à éviter le mépris et la haine.(...) 

Peu importe que le pouvoir soit blâmé dans un cas particulier : il s'établit dans l'intervalle qui sépare la critique du désaveu, la discussion du discrédit. Les relations du sujet et du pouvoir, comme celles du moi et d'autrui, se nouent plus profond que le jugement, elles survivent à la contestation, tant qu'il ne s'agit pas de la contestation radicale du mépris.

(...) ni pur fait, ni droit absolu, le pouvoir ne contraint pas, ne persuade pas : il circonvient, - et l'on circonvient mieux en faisant appel à la liberté qu'en terrorisant. Machiavel formule avec précision cette alternance de tension et de détente, de répression et de légalité dont les régimes autoritaires ont le secret, mais qui, sous une forme doucereuse, fait l'essence de toute diplomatie. On tient quelquefois mieux ceux à qui l'on fait crédit (…)le prince ne doit pas décider d'après autrui : il serait méprisé. Il ne doit pas davantage gouverner dans l'isolement, car l'isolement n'est pas l'autorité. Mais il y a une conduite possible entre ces deux échecs.(...)

Il y a une manière de s'affirmer qui veut supprimer autrui, - et qui rend esclave de lui. Et il y a avec autrui un rapport de consultation et d'échange, qui n'est pas la mort, mais l'acte même du moi. La lutte originaire menace toujours de reparaître : il faut que ce soit le prince qui pose les questions, et il ne doit, sous peine d'être méprisé, accorder à personne une autorisation permanente de franc-parler. Mais, au moins dans les moments où il délibère, il communique avec les autres, et, à la décision qu'il prendra, les autres peuvent se rallier, parce qu'elle est à quelque égard leur décision. La férocité des origines est débordée quand, entre l'un et l'autre, s'établit le lien de l'oeuvre et du sort communs. Alors l'individu s'accroît des dons mêmes qu'il fait au pouvoir, il y a échange entre eux.(...)

En mettant le conflit et la lutte à l'origine du pouvoir social, il n' a pas voulu dire que l'accord fût impossible, il a voulu souligner la condition d'un pouvoir qui ne soit pas mystifiant, et qui est la participation à une situation commune.

(…)

Qu'est-ce qu'une bonté qui se veut bonté ? Une manière douce d'ignorer autrui et finalement de le mépriser.

 (…)

Le hasard ne prend figure que lorsque nous renonçons à comprendre et à vouloir.

 (…)

Ce qui départage, c'est la sorte d'hommes pour qui l'on demande liberté ou justice, avec qui l'on entend faire société : les esclaves ou les maîtres.(...) il faut avoir des valeurs, mais cela ne suffit pas, il ne faut pas s'en tenir là; tant qu'on n'a pas choisi ceux qui ont mission de les porter dans la lutte historique, on n'a rien fait."

9 février 2012

Les transformations du travail et du syndicalisme

Sur les transformations du travail et du syndicalisme, la revue Esprit donnait des pistes dans son numéro d'octobre 2011 (Dossier : « Exister au travail »).

La revue d'idées consacrait son dossier du mois d'octobre à une réflexion sur les modes de confrontation et les capacités de négociation au travail. Les différents thèmes abordés engagent l'idée de l'émancipation des salariés pour les syndicats. Ne pas craindre le conflit, nous disent les auteurs, c’est exercer ses responsabilités. Il s'ensuit que celui qui soulève un problème est partie prenante, non seulement du problème, mais aussi de sa résolution. Comment permettre à chacun d’exercer sa responsabilité ? En faisant émerger des soutiens collectifs qui vont permettre à l'individu de s'affirmer. « Le pouvoir d’instituer des rapports entre individus n’est pas l’apanage de la direction », il existe à tous les niveaux.

Les auteurs montrent que les conflits, tout en exprimant l’opposition, libèrent les tensions et permettent à chacun d’expliquer ses différences et divergences. En donnant la chance de faire exister l’autre en soi, ils constituent un « processus quotidien de socialisation qui soude les combattants du même bord et des bords opposés ». Le conflit peut être source de coopération.

C'est le rôle du syndicalisme d’animer la controverse sur le travail. Laissons le temps à la controverse de se développer, faisons l’expérience de nos désaccords, de nos divisions sur les représentations et les finalités de notre travail. C'est dans l’écart entre le prescrit et le réel que se joue le sens du travail. Ainsi, la mise en discussion des finalités et des objectifs du travail même, et pas seulement des résultats du travail, reste une pratique à inventer.

Dans l'institution, l'organisation est un équipement pour travailler. Elle fixe des règles qui, en introduisant la loi au sein du groupe, libèrent chacun de la tendance à s'autoréférer, et organisent les relations de coopération. Autour de références communes se construit la liberté de chacun dans sa façon de faire. Comment créer des conditions collectives qui permettent d'assurer à chacun dans les faits, la réalité de sa liberté d'action ? Comment lutter contre l'inégale distribution des ressources pour la délibération, contre l'inégalité sociale des capacités d’agir ? Comment donner les moyens de la liberté de choix ? Comment lutter contre l’abandon des individus à eux-mêmes et favoriser la responsabilité commune en mettant l’accent sur les capacités individuelles ?

On n'a pas fini de s'interroger sur la mise en place d'une citoyenneté dans l'entreprise? Elle reste un défi car « l'implication ne se décrète pas, elle est le fait d'individus, de caractères, jamais réductibles à leur rôle. »

On retiendra également qu'il n'y a pas de valeur qui se construise dans un cadre hiérarchique.

 

8 février 2012

Le pouvoir d'agir des salariés

Un livre sur le pouvoir d'agir des salariés: « Le travail à cœur - pour en finir avec les risques psychosociaux » de Yves Clot, aux éditions La Découverte.

 Un livre utile « si l'on veut éviter de regarder les salariés comme des infirmes à qui envoyer l'ambulance de la cicatrisation sociale ». Extraits :

 « […] ceux qui travaillent sont plus grands que leur tâche, au risque, justement, de s'y abîmer[...] En matière de qualité du travail la seule « bonne pratique » est la pratique de la controverse sur le travail bien fait. »

 « A l'abri des protocoles de « bonnes pratiques », elle [l'institution] ne répond plus de la qualité réelle des actes dans un contexte où les résultats attendus sont très mal ou malheureusement trop bien identifiés.»

 « Au travail, contrairement aux apparences, on ne vit pas dans un contexte ; on cherche à créer du contexte pour vivre. Quand on échoue à le faire, individuellement ou collectivement, assez vite, on ne fait plus que survivre dans le contexte en question[…] Vivre au travail, c'est donc pouvoir y développer son activité, ses objets, ses outils, ses destinataires, en affectant l'organisation du travail par son initiative. »

 « Le pouvoir d'agir, que je mets au premier rang de la prévention des risques professionnels, ne s'enseigne pas. Il se trouve, ou se retrouve quand on l'a perdu, dans l'activité « délibérée » sur la qualité du travail, ensemble autour d'une histoire à reprendre. Sans garantie par avance d'y parvenir, mais avec le plaisir d'être, même dans la controverse, à l'initiative. »

 « […] la souffrance n'est pas d'abord le résultat de l'activité réalisée. C'est ce qui ne peut pas être fait qui entame le plus. La souffrance trouve son origine dans les activités empêchées, qui ne cessent pourtant pas d'agir entre les travailleurs et en chacun d'eux sous prétexte qu'elles sont réduites au silence dans l'organisation. »

 Yves Clot est titulaire de la chaire de psychologie du travail du CNAM et directeur du Centre de recherche sur le travail et le développement.


 

 

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  • "à strictement parler, la franchise et l'éligibilié sont les seuls droits politiques et, dans une démocratie moderne, ils constituent la quintessence même de la citoyenneté" Hannah Arendt
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